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18 janvier 2019

Olivier Baroin, l’expert de Suzanne Belperron

Les bijoux de Suzanne Belperron s’arrachent dans les ventes aux enchères et chez les antiquaires. Rencontre avec Olivier Baroin, l’expert de la créatrice.

 

 

Sandrine Merle. En 2008, vous entrez par hasard en possession du fonds d’archives des années 1937 à 1974 ayant appartenu à Suzanne Belperron. Cela vous a permis de devenir, aujourd’hui, l’expert de référence.

Olivier Baroin. Je délivre des certificats d’authenticité des bijoux Suzanne Belperron notamment pour les maisons de ventes aux enchères. Je réalise aussi des transactions de gré à gré : autrement dit, je mets en contact vendeurs et acheteurs. Certains sont prêts à traverser la planète pour acquérir une pièce, surtout si elle n’est jamais apparue sur le marché.

 

S.-M. Le nombre de bijoux Belperron dans les ventes et chez les antiquaires de bijoux est aujourd’hui phénoménal…

O.-B. N’allez pas imaginer que des faux circulent ! L’énorme communication contribue à alimenter le marché : tout le monde est à l’affût, les professionnels comme d’éventuels propriétaires. Vous savez, au final je ne certifie qu’une pièce sur 30 ou 40 qui passent entre mes mains.

 

S.-M. On sait que Suzanne Belperron ne signait pas ses bijoux et répétait : « mon style est ma signature ». Cela rend leur authentification plus difficile…

O.-B. Le doute est très vite levé si le bijou est répertorié dans un carnet de commande ou porte le poinçon de son atelier, Groëné & Darde (ensuite Darde & Fils puis Darde & Cie). Pour le reste, pas question de donner des cartes aux faussaires… Mais je peux vous dire que j’examine les détails techniques à la loupe : emboutissages, soudures, ajustages, mises à jour et autres fermoirs. Prenez ce bracelet adjugé $880 000 chez Christie’s NY : un indice est l’épaisseur du métal (6,5 mm), anormalement fine pour une pièce de joaillerie. La matière première est loin de représenter la valeur du bijou ! Les plaques qui le constituent ne sont pas bâtées mais simplement renforcées de fils demi-jonc arqués par dessous: ainsi, le bijou reste léger et plus agréable à porter.

 

S.-M. D’ailleurs chez Suzanne Belperron, les bijoux sont loin d’être parfaits, les pierres ne sont pas d’une qualité exceptionnelle…

O.-B. C’est ce qui leur confère un charme fou ! Groëné & Darde faisait tout à la main mais cherchait à aller au plus simple probablement pour gagner du temps et gagner en légèreté. Comme Suzanne Belperron d’ailleurs : elle se moquait de la valeur des matières premières utilisées. Les pierres sont souvent, elles, fournies par les clientes. En revanche, les sculptures des pierres, réalisées par Adrien Louard, sont d’une absolue perfection.

 

S.-M. Officiellement, Suzanne Belperron a créé des bijoux jusqu’en 1975. Quelles sont ses meilleures années ?

O.-B. Les bijoux les plus beaux sont ceux des années 1925 à 1945, entièrement faits à la main. Dans les années 50, la production atteint son apogée. Avec le temps, les techniques évoluent: certains sont alors réalisés à la fonte à cire perdue. Ce qui leur enlève un certain charme. Cette technique ne pouvant pas être appliquée à tous les modèles,  la bague « Cerf-volant » produite en 1974 est encore, par exemple, entièrement réalisée à la main. Parmi mes bijoux préférés figurent la broche papillon en émeraudes récemment vendue par Aguttes et la broche formée par deux feuilles d’agate blonde et d’une cascade de perles. Un peu plus tardif, le bracelet vendu chez Christie’s (Vogue, 1948) n’en reste pas moins exceptionnel. Il y a aussi les pièces dessinées chez Boivin à ses tous débuts, sa bague de fiançailles « Yin  Yang » (1923) ou sa bague personnelle formée par un diamant navette serti dans du cristal de roche.

 

S.-M. L’héritage de Suzanne Belperron est au cœur de querelles, de secrets et de polémiques notamment concernant ses débuts chez René Boivin.

O.-B. Mon but est aujourd’hui de réhabiliter le rôle de Suzanne Belperron chez René Boivin entre 1919 et 1932, alors au sommet de son art. Pour moi, elle a fait la notoriété de ce joaillier travaillant à l’origine comme sous-traitant pour des joailliers (dont Boucheron) et pourtant on omet souvent de lui attribuer les pièces. On dit aussi qu’elle est partie fâchée avec Germaine Boivin, emportant tous ses dessins… Il n’existe aucune preuve. Je pense plutôt qu’elle est partie en ayant tout en tête. Je rappelle qu’une des demoiselles Boivin, à la fin des années 60, a demandé à Suzanne Belperron de lui faire un bijou car elle voulait quelque chose de « moderne ».

 

S.-M. Tout le monde n’est pas d’accord avec vous sur ce point… Tel un biographe, vous êtes bel et bien amoureux de votre sujet!

O.-B. Je suis complètement imprégné de son univers et de ses créations. Quand j’ai l’impression d’avoir tout vu, je découvre une nouvelle pièce… Je me pose encore des questions sur ses intentions : par exemple, pourquoi mettait-elle souvent des gros diamants (de 1 carat et plus) dans un pavage de petites pierres ? Suzanne Belperron continue encore de me surprendre et de me fasciner.

 

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