Style

16 octobre 2017

Delphine Nardin, empreintes et verre dépoli

Archéologue de formation, la créatrice imagine des bijoux à partir d’éléments portant l’empreinte du temps.

 

Jusqu’au 21 octobre, on peut voir quelques-unes de vos pièces dans l’exposition « Gourmandises » à la galerie Naïla de  Monbrison.

Le thème lancé par Naïla de Monbrison m’a d’abord laissée perplexe : comment le traiter sans tomber dans un registre figuratif qui n’est pas le mien ? C’est pourquoi j’ai opté pour le côté naissant de la gourmandise. J’ai traduit la joie, la vivacité, l’effet pétillant avec mes matériaux fétiches que sont le verre dépoli et la pierre brute. Les couleurs comme le vert de la chrysoprase évoquent celles de bonbons.

 

Parmi les éléments glanés, le verre dépoli s’est imposé comme votre matière fétiche, vous dites même qu’il a été « un cadeau du ciel » ?

Au début, j’ai surtout utilisé du bois flotté, puis j’ai découvert le verre dépoli sur les plages du Cotentin. Il n’était pas possible de ne pas faire quelque chose de ces fragments de bouteilles, de jarres polis. Le verre dépoli porte la mémoire de la mer et du temps qui passe. Je suis tombée profondément amoureuse de ses couleurs fanées, de son éclat intérieur… Il a été le déclencheur de ma nouvelle vie mettant en évidence un nouveau processus de travail.

 

Vous étiez archéologue, spécialisée dans la période médiévale. Comment êtes-vous arrivée au bijou ?

Peut-être pour rattraper un acte manqué : il paraît qu’enfant, pour contrarier ma mère, j’avais jeté ses bijoux par la fenêtre ! Plus sérieusement, je n’ai jamais eu de réponse à cette question… Être archéologue n’a rien de romantique, il s’agit d’un travail fastidieux d’inventaire et de statistiques. En fait, je n’étais intéressée que par une chose : les matériaux enfouis portant la trace du temps, ceux qui nous connectent à d’autres vécus. J’ai toujours ramassé un tas de choses comme ces coquillages sur lesquels on marche sans réaliser qu’ils sont des merveilles de formes et de textures.

 

Au-delà de la matière obsédante, il y a cette légèreté inhérente à vos pièces…

Ce qui ne veut pas dire que je ne fais pas de pièces oversized ou structurées. Ma quête de légèreté passe par un élément mobile, des chahuts de lignes, des jeux de vides et de pleins, une touche d’or. Je termine une feuille large et massive par un simple fil. Sur la manchette « Empreintes », je ne laisse aucune griffe apparente afin que les deux coquillages semblent juste posés. Cette légèreté naît de l’opposition du brut, du rugueux, de l’irrégulier, du parfaitement poli et brillant.

 

Votre démarche a de multiples résonances avec la culture japonaise ?

Je suis souvent allée au Japon qui s’est avéré être une grande source inspiration. Je me sens infiniment proche de la philosophie et de préceptes comme l’impermanence, la fulgurance du geste, la nature, la quête de simplicité, l’aléatoire. J’ai récemment découvert les œuvres de l’artiste japonaise Ritsue Mishima qui se concentre sur l’expression de formes organiques créant une distorsion de la lumière. Elle fait surgir le vivant du verre monochrome sans que cela ne devienne jamais trop complexe, sans qu’il n’y ait jamais de surcharge. La justesse de son travail me touche.

 

Pourquoi ne faire que des pièces uniques ?

Les matières glanées induisent cette unicité car je ne les modifie jamais. Et puis, j’ai été à la tête d’une entreprise employant jusqu’à quinze personnes, je voulais casser le rythme incessant de nouveautés et de collections duquel j’étais prisonnière. Passer à des pièces uniques a été une façon de me réapproprier mon travail et de renouer avec une forme d’exigence.

 

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