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26 mai 2020

La collection de Roger Caillois dans l’exposition « Pierres Précieuses »

À l’occasion de l’exposition « Pierres précieuses » au Muséum national d’Histoire naturelle (à la Galerie de l’Évolution du Jardin des plantes à Paris), le professeur François Farges évoque l’un des must-see : la collection de pierres de rêve de Roger Caillois enfin quasi complète.

Propos recueillis par Sandrine Merle.

 

 

Sandrine Merle. Quels sont les spécimens de Roger Caillois présentés dans « Pierres précieuses » ?

François Farges. Dans le cadre de l’exposition, le Muséum en présentera une douzaine encore jamais montrées au public. Ce dernier pourra admirer notamment « Calligraphie Royale », une plaque d’onyx du Brésil aux motifs de rubans et « La Cime » ou encore « Le Château », la pierre la plus exceptionnelle et la plus documentée et la plus reproduite. J’étais impatient de l’observer pour lever une éventuelle supercherieliée à ce motif qui figure un dessin miniature composé de branches de fougères géantes, d’oiseaux tourbillonnants, de nuages grondants, d’un château peuplé de silhouettes gnomatiques… Et bien, avec un examen minutieux, surtout à revers, cela ne fait aucun doute : il s’agit bien du travail de la nature !

 

S.M. Vous semblez avoir un lien particulier avec la collection de Roger Caillois, centrale dans cette exposition ?

François Farges. En 1975, une tranche d’agate somptueuse, dite « L’agate blessée » en couverture de « Monde des Minéraux » a enflammé ma jeunesse. J’avais 13 ans… En 2006, appelé au Muséum d’Histoire naturelle pour superviser les collections de minéralogie, j’ai découvert qu’y figurait celle de Caillois. Elle est devenue l’une de mes priorités avec les Joyaux de la Couronne car j’ai pensé que le public l’apprécierait, alors que ces deux corpus n’étaient pas présentés au public. Je me suis alors plongé dans les réserves pour les récoler, les photographier et réaliser une sorte de catalogue raisonné. Récemment, je me suis investi dans les archives (coupures de presse sur ses ouvrages, correspondances, etc.) conservées à la bibliothèque municipale de Vichy, ville que Roger Caillois affectionnait particulièrement. Il aurait aussi voulu qu’elle lui consacre un musée, ce qu’elle n’a jamais validé à sa grande déception.

 

S.M. Cette collection, composée de 1175 spécimens, est l’une des collections majeures du Muséum national d’histoire naturelle, comment y est-elle arrivée ?

François Farges. Elle y est entrée en 2 temps : les 212 premières pierres proviennent d’une dation de sa veuve, Alène Caillois en 1998 (Caillois étant mort en 1978) tandis que la seconde partie (963 pièces incluant aussi des objets usuels de Caillois), a été acquise en 2017 grâce au mécénat de Van Cleef & Arpels. Aujourd’hui, il ne nous manque qu’une dizaine de spécimens « phares » de cet ensemble qui peut apparaitre « modeste » d’un point de vue minéralogique mais exceptionnel d’un point de vue esthétique, poétique et sociétal. Il comprend principalement des pierres imagées : celles qui, une fois tranchées et polies, laissent apparaître des formes et des motifs incitant à la rêverie, des tableaux naturels. Parmi les agates qui occupent une place très importante dans cette collection, figure sa dernière acquisition : « Le fleuve Alphée ». Hélas, elle n’est pas au Muséum mais dans une collection privée.

 

S.M. Comment cet intellectuel français décrit comme un homme de lettre, poète, sociologue, membre de l’Académie Française en est-il venu à s’intéresser aux pierres de rêve ?

François Farges. Contrairement à ce que l’on a beaucoup écrit, cette collection n’avait aucun lien direct avec le surréalisme avec lequel il avait rompu très rapidement, dès 1935 même si André Breton et Brassaï s’inspiraient déjà des formes cristallines du minéral. Caillois a commencé à les collectionner bien plus tardivement, au milieu des années 50 : sa première pierre a été une labradorite dont il rapprochait l’iridescence à celle des ailes d’un papillon qu’il collectionnait aussi (voir la vidéo en bannière). Il développe notamment le concept de « science diagonale »… qui est davantage poétique que scientifique ! Il s’agit plus prosaïquement du rapprochement conceptuel et esthétique d’éléments provenant des différents règnes du monde naturel qu’il développe dans « Méduse et Cie » en 1960. Dans ces années, Roger Caillois a aussi été très impressionné et influencé par la tradition des pierres de rêve romaines et chinoises, les mengshi accompagnées de poésie. Sa grande excursion annuelle était la foire de Sainte-Marie-aux-Mines mais aussi dans la région d’Idar-Oberstein, en Allemagne, sans oublier divers longs voyages aux pays d’origine de ces pierres, entre Inde, États-Unis, Japon et Brésil.

 

S.M. Les paésines, agates, onyx, jaspes et autres quartz de Roger Caillois seront accompagnés, dans l’exposition, de ses somptueux textes, de véritables poèmes en prose…

François Farges. Des cartels reprennent des extraits de « L’écriture des pierres », ouvrage par lequel je vous conseille de commencer car il est plus connu et le plus accessible que « Pierres réfléchies », plus tardif et nerveux. Roger Caillois transfigure ses pierres grâce à l’écriture avec, placées en regard, diverses illustrations photographiques de Luc Joubert et d’Alexis Vorontzoff d’une grande beauté graphique. S’il commence, dans ses manuscrits originaux, par des phrases très professorales qu’il raye de suite, ces dernières deviennent vite, tout en restant très rationnelles, de plus en plus névrosées, au sens créatif du terme ! Il n’est plus dans le descriptif mais dans le choc du ressenti de l’observation, cependant raisonnée et intransigeante, il entre en totale communion avec sa vision minérale. Caillois dit « Je regarde mieux, afin de détailler le mystère ». Ceci dit, pour moi, ses écrits traduisent aussi la peur inspirante de la mort, souvent inhérente à l’attrait des pierres soi-disant éternelles. Car il y a une survivance possible dans les pierres comme dans la littérature. Mais le géologue sait que c’est illusoire, toute pierre est vouée à la destruction même si ces laps de temps peuvent faire croire à l’éternité.

 

Du 16 septembre 2020 au 14 juin 2021, « Pierres Précieuses » au Museum national d’Histoire naturelle – Galerie de l’Évolution du Jardin des plantes, Paris.

 

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