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15 juillet 2022

De la mine à la vitrine, du brut à la pierre facettée

Les joailliers partent en quête des pierres brutes les plus exceptionnelles pour les diviser en pierres facettées et brillantes de mille feux. Un retour à la minéralogie, à la magie archaïque des entrailles de la Terre…

Par Sandrine Merle.

 

 

Jusqu’à présent les joailliers n’achetaient chez des marchands que des pierres taillées, facettées brillant de mille feux, prêtes à être montées en bijoux. Aujourd’hui, ils remontent à la mine et achètent des pierres brutes sortant des entrailles de la Terre, sans forme parfois opaques mais à fort potentiel. Leur but : les diviser en un ensemble cohérent de pierres pouvant faire partie d’une seule et même collection. On a pu voir le résultat en juillet dernier chez Van Cleef & Arpels avec une collection de 25 bijoux arborant 67 pierres issues d’un seul et même diamant brut, « The Lesotho Legend » de 910 carats. Valérie Messika a, elle, présenté la parure « Akh-Ba-Ka » réalisée à partir de 15 diamants issus d’un brut de 110 carats. Ces deux opus confirment une tendance initiée en 2019 par Graff : il avait alors splitté un diamant brut de plus de 1 109 carats (l’équivalent d’une balle de tennis) en 67 pierres dont l’une de 110 carats. Et Caroline Scheufele chez Chopard a fait une démonstration similaire avec « The Queen of Kalahari », diamant brut de 342 carats. Dans quelques mois, on découvrira sa nouvelle prouesse basée sur une émeraude brute de 6 600 carats, l’« Insofu ».

 

Toujours plus de traçabilité

Acheter une pierre brute est une des solutions au défi de la traçabilité. Cela permet aux joaillers de garantir d’un seul coup la provenance de plusieurs pierres montées sur le bijou, d’assurer à leurs clients qu’elles ne proviennent pas de biens mal acquis, du travail d’enfants ou qu’elles n’ont pas contribué à des dégâts écologiques. « Ce n’est valable que pour les pierres exceptionnelles », nuance un marchand. Valérie Messika a double-securisé sa démarche en travaillant un diamant brut déniché et taillé par son frère et son père. De son côté, Van Cleef & Arpels a acheté « The Lesotho Legend » à l’un de ses partenaires privilégiés, le diamantaire Taché. Et le joaillier est parti le voir sur le terrain avec des membres du GIA (Gemmological Institute of America). Une première : jusqu’à présent, ce laboratoire ne faisait que certifier à posteriori les pierres arrivant dans son bureau.

 

Des pierres uniques et singulières

Grâce à l’achat du brut, les joailliers peuvent personnaliser la taille de leurs plus belles pierres. Ces dernières étant devenues un signe de reconnaissance au même titre qu’un logo ou un motif. L’analyse technologique du brut, sorte de cartographie de ses entrailles, fournit précisément la combinaison optimale de tailles avec leurs proportions et leurs volumes. Les calculs sont, bien sûr, faits pour perdre le minimum de matière en fonction des zones de clivage et de couleurs mais aussi des inclusions mais ce puzzle en 3D laisse quand même la place à des arbitrages. « Pour les pierres importantes, nous ne souhaitions pas qu’elles dépassent 70-80 carats, on a aussi préféré un ovale plutôt qu’un cœur », précise Nicolas Bos CEO de Van Cleef & Arpels.

 

La magie archaïque du brut

Il s’agit de ne pas gâcher ce miracle de la nature dont on garde généralement une reproduction. Jusqu’au bout, il faut d’être à la hauteur d’un élément qui s’est formé il y a des milliards d’années sous la Terre. C’est fascinant, émouvant, stimulant, « cela donne envie de se surpasser, » déclare Valérie Messika. Pour l’Australien Peter J. Ravenscroft (ex de De Beers et Rio Tinto), les pierres brutes sont infiniment inspirantes : via son concept Maison Mazarea, il propose des spécimens aux créateurs, il les incite à en faire leur point de départ. « Aujourd’hui on les choisit sur certificat d’un laboratoire gemmologique », regrette-t-il. Ils contiennent d’infinies promesses, des voyages imaginaires tout autant que de celles transformées, taillées, facettées et si parfaites qu’elles en deviennent presque abstraites. On en oublie d’ailleurs parfois d’où ces dernières viennent…

 

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