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02 juin 2016

Le luxe en pleines turbulences

Horlogerie et joaillerie ne sont pas épargnées par la crise que traverse le secteur du luxe. Erwan Rambourg chargé de ce secteur pour HSBC en Asie, nous donne quelques perspectives d’avenir.

 

À quoi est dû le ralentissement du marché du luxe ?

Depuis douze mois, il est principalement dû à des causes psychologiques, ce que les Anglo-saxons appellent le feel good factor. En Chine, l’effondrement de 40% des marchés actions en l’espace de quelques semaines, a développé des doutes sur les perspectives économiques du pays. L’environnement politique et géopolitique pèse aussi avec les élections à Taïwan et en Corée. En Europe, le Brexit et les élections en Autriche, les grèves en France sont autant de facteurs négatifs. La campagne électorale américaine s’accompagne comme toujours d’un trou d’air, mais celui-ci est plus prononcé que d’habitude. Et globalement les flux touristiques sont perturbés par l’idée que le monde est devenu plus dangereux.

 

L’industrie du luxe entre ainsi dans une nouvelle ère ?

Pendant des années, la demande excédait l’offre. Rappelez-vous, l’industrie horlogère suisse n’arrivait pas à suivre en termes de production ! Il n’y avait donc pas de questions à se poser. Aujourd’hui le mot d’ordre a changé, il est : retail excellence. Autrement dit la stratégie horizontale d’expansion en termes de boutiques cède la place à une stratégie verticale consistant à mieux comprendre les attentes de la clientèle qui accumule moins de produits et recherche des expériences. Les marques segmentent l’offre avec de multiples services et produits exclusifs pour les Very Very Important Customers. Elles cherchent à recruter les meilleurs vendeurs sachant que 10% d’entre eux génèrent 40% du business. Il s’agit aussi de cibler la communication. Certaines marques estiment que la clientèle notamment chinoise n’est pas fidèle mais, en réalité, certaines d’entre elles sont trop lentes. Elles doivent s’adapter et se réapproprier la relation client.

 

Quel sera le rôle du e-commerce et des social medias ?

Le luxe est un late adopter, mais il ne pourra pas éviter ce tournant car il y a un décalage croissant avec sa clientèle de 20-30 ans, notamment asiatique, qui passe sa vie sur son mobile et se réfère aux chats, blogs et autres forums. On peut commander une paire de Nike à ses initiales et ses couleurs préférées ou recevoir un livre sur Amazon en 24h mais, pas un sac ! À terme, l’effort d’investissement sera davantage sur le e-commerce. Par exemple, Hermès annonce que d’ici un an, on devrait trouver pratiquement la totalité de ses produits en ligne. En revanche, ce sera beaucoup plus compliqué avec des partenaires comme Net-a-Porter car il y a alors un risque de perdre de contrôle de la relation directe avec le client et une dilution de la marge.

 

D’où viendra la reprise ?

La reprise ne viendra pas de l’Europe, ni du Japon. On considère que sur les cinq à dix ans à venir, les nationalités américaine moins complexée par rapport au luxe et chinoise devraient représenter un fort potentiel de croissance. Si l’on se focalise sur la Chine, on peut dire qu’elle va aller de mieux en mieux pour différentes raisons. Le potentiel est fort car si la clientèle chinoise représente 40% de l’industrie du luxe, seul 10% est fait dans ce pays. Les effets des lois anti-corruption s’estompent et la clientèle chinoise achète de plus en plus chez elle. D’abord elle craint les voyages en Europe et les forts écarts de prix entre la Chine et les autres pays se réduisent : Richemont et Chanel ont initié cette uniformisation. La baisse de certaines taxes notamment d’importation par le gouvernement fait écho au développement des zones de duty free domestique comme celui sur l’île de Hainan. Et en plus, on attend les premiers achats de la nouvelle classe moyenne.

 

Après des années d’euphorie, le réveil est donc brutal…

Certaines marques sont d’énormes paquebots difficiles à manœuvrer et incapables de prendre le tournant en deux secondes. Il leur faut souvent du temps pour réagir…

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